top of page

Mini Transat - Le récit

  • tanguyleturquais
  • 15 déc. 2013
  • 9 min de lecture

Cela fait maintenant une semaine que le skipper de Terreal-Rêve d’Enfance est arrivé, il est donc grand temps de revenir sur sa course. Après s’être occupé de son fidèle Rossinante, qui est maintenant chargé sur un cargo, prêt à rentrer en France, Tanguy se détend quelques jours en Guadeloupe et en profite pour nous livrer un premier récit de son aventure. Le convoyage Gijon-Sada : Après l’étape très sportive entre Douarnenez et Sada, qui a été marquée par l’accident d’Arthur Léopold Léger (tombé à l’eau il s’en est sorti in-extremis), je pensais que ce début de Mini Transat ne pouvait pas être pire. Malheureusement c’était sans compter sur le convoyage Gijon-Sada et même sur toute la descente jusqu’aux Canaries… Le convoyage a été tout simplement horrible, avec 40 nœuds de vent de face, c’était mission impossible pour nos minis 6.50. J’ai du m’arrêter à mi chemin avec une vingtaine d’autres ministes dans une baie où Jean-Pierre Dick avait attendu pendant son dernier Vendée Globe. Nous étions à couple, et nous sommes restés plus de 24h au mouillage sur nos coques de noix. Le moral était bas pour tout le monde. On mangeait nos provisions pour la vraie traversée et on tournait en rond sans trop voir d’amélioration sur le plan météo. On est finalement repartis, mais dans des conditions encore compliquées et il fallait se forcer à ne pas trop penser à l’usure accélérée de nos bateaux par une mer pareille. J’ai endommagé mon AIS sur ce convoyage (émetteur et récepteur radar), ainsi que ma BLU (récepteur radio longue portée). Si j’ai pu trouver une autre BLU avant de partir pour la vraie Mini Transat, je n’ai jamais trouvé d’autre AIS, et le mien a définitivement lâché peu après le départ, me privant d’une sécurité supplémentaire et surtout d’un outil stratégique pour tout le reste de la course. (l’AIS permet de voir les autres bateaux ainsi que leur vitesse dans un rayon de 30 milles). Le départ de Sada le 13 novembre: L’annonce d’une longue étape Sada-Pointe à Pitre a été un grand soulagement. Nous nous attendions au pire et je n’osais imaginer une annulation pure et simple de la Mini Transat 2013. La météo prévue était encore bien compliquée, plus compliquée même que ce que nous aurions eu si nous étions partis de Douarnenez à la date initialement prévue le 13 octobre, mais au moins, on y allait, j’allais enfin pouvoir prendre le départ de cette fichue Mini Transat. Il y a eu quelques abandons de coureurs à la motivation trop émoussée par le mois qui venait de s’écouler, je ne les comprends que trop bien, même si je n’ai jamais imaginé abandonner, c'était une épreuve de taille sur le plan psychologique. Le jour du départ la tension était au rendez-vous. Je me suis mis dans le bain très vite : à l’instant même où la procédure de départ était lancée, je me suis rendu compte d’un souci technique sur mon capteur d’angle de barre ! Un capteur indispensable au pilote automatique… J’ai mis 5 minutes pour réparer quelque chose qui m’en prendrait 30 en temps réel ! J’ai tout donné, j’avais plein de matériel à enlever à l’intérieur pour pouvoir réparer, et j’étais mort de chaud dans ma combi sèche… bref, j’ai pris un super mauvais départ, mais j’étais chaud bouillant ! La descente jusqu’aux Canaries : Cette descente c’était un peu un long chemin de croix pour nous tous… Il y avait 5 mètres de creux, près de 30 nœuds établis avec des rafales à 45 nœuds. On glissait très vite au portant (vent arrière) mais cela demandait une concentration de tous les instants. J’ai bien commencé, mais j’ai vite su qu’il allait falloir me calmer quand j’ai fait ce qu’on appelle un « vrac » pendant la première nuit. Mon bateau s’est couché et mon code 5 (sorte de petit spi) s’est retrouvé dans l’eau. Pour ne pas l’exploser (ce qui est un peu arrivé malgré tout) et surtout ne pas faire tomber mon mât, j’ai du couper la drisse de capelage… J’ai recousu le code 5 tant bien que mal 2 jours après, mais je ne pouvais pas monter au mât dans des conditions pareilles et j’ai dû envoyer cette voile sur la drisse de tête, pas du tout appropriée. Le lendemain les ennuis ont continués puisque mon pilote automatique est tombé en rade. Je me suis donc retrouvé à la barre quasiment 24h/24, vomissant tout ce que j’avais (et oui j’ai le mal de mer !), incapable de manger quoique ce soit et sans pouvoir me reposer. Une aventure ! Cette situation a duré presque 5 jours puisque je n’ai réparé le pilote qu’à la sortie des Canaries. Il y avait trop de vent et de mer pour que je puisse arrêter le bateau pour réparer, j’aurais tout cassé. Quand cela se calmait un peu j’arrivais à faire tenir ma barre avec un vérin hydraulique, une sorte de pilote automatique de rechange qui permet de tenir la barre droite. Mais il m’obligeait à naviguer assez lofé et je ne pouvais pas le laisser plus de 10 minutes. Autant dire qu’entre mes problèmes de drisse et de pilote, ni ma trajectoire, ni ma vitesse n’étaient optimales ! Dans ces conditions j’ai fait de mon mieux pour suivre la cadence de la tête de course, mais ce n’était pas évident. Cette descente a été dramatique pour nombre de coureurs, certains favoris ont vécu des moments très difficiles notamment Clément Bouyssou et Ian Lipinski avec qui je me suis entrainé à Lorient et Gwénolé Gahinet, grand favori en proto. J’ai donc eu des problèmes techniques, peut-être plus que d’autres, mais c’était surmontable par rapport aux véritables naufrages qui ont eu lieu. Le passage des Canaries : A ce moment j’étais totalement épuisé, je tenais à peine debout, je n’avais plus de pilote et la perspective de monter au mât pour remettre ma drisse ne m’enchantait pas plus que ça. Une partie de moi ne rêvait que d’une seule chose : s’arrêter pour profiter de l’escale technique permise par la course ! Mais c’était inenvisageable, j’étais parti pour faire la Mini Transat d’une seule traite, pas pour perdre minimum 12h à Lanzarote. J’ai pris le pari que j’allais réussir à réparer mon pilote, et j’ai continué. J’ai eu pas mal de chance en fin de compte car ma réparation a été assez rapide, j’avais un problème de convertisseur de voltage que j’ai pu résoudre assez facilement et mon pilote a tenu presque sans encombre jusqu’au bout. Pas mal de bateaux se sont arrêtés à Lanzarote, et je suis sorti des Canaries en 5ème position ex-aequo avec Eric Cochet. J’étais super content, surtout que je me disais que je pouvais encore jouer pour un podium, les pogo 2 étant relativement plus rapides au portant VMG que les naciras. Lorsque j’ai passé la dernière île et que j’ai eu fini de réparer le pilote, je me suis dit « c’est bon, tu peux aller te reposer » et j’ai dormi 10 heures d’un coup ! Ce n’était pas du tout sérieux et ça aurait pu être dangereux mais je crois qu’après la semaine que je venais de passer il n’y avait pas d’autre solution. Le large : J’ai commencé par batailler pendant plusieurs jours avec Eric Cochet (832) pour la 5ème place, j’ai fini par prendre l’avantage et au fur et à mesure des milles j’ai même réussi à prendre une avance confortable sur le 6ème. Je me sentais bien à la 5ème place, mais je n’arrivais pas à rejoindre le groupe de tête, qui n’a pas arrêté de toucher du vent plus favorable et qui naviguait, il faut le dire aussi, drôlement bien. Les Alizés n’ont jamais été normaux, et c’était assez frustrant parce qu’avec mon Pogo 2 j’aurais eu toutes mes chance sur cette deuxième partie de course s’ils l'avaient été un peu plus ! Les enfers : Alors que cela faisait plusieurs jours qu’il ne se passait pas grand-chose, que j’avais mon petit rythme à bord, et que je pensais que la 5ème place était quasiment gagnée, j’ai eu la désagréable surprise de voir mes poursuivants gagner chaque jour des milles sur moi. Une dépression orageuse s’est créée juste entre moi et les 3 premiers séries (JB Lemaire, le 4ème a lui aussi été pris au piège), ce qui a eu pour conséquence directe de nous ralentir très fortement pendant que nos amis derrières continuaient d’avancer ! J’ai eu 2 jours de grosse pétole où j’avançais à 2-3 nœuds, puis un vent assez faible est revenu par l’Ouest ! Du grand n’importe quoi dans une zone où l’on est censés toucher du vent oscillant entre le nord-est et le sud-est à 15-20 nœuds… Avec le vent en pleine face il a fallu que je choisisse le bord le plus rapprochant, qui était celui qui partait au sud. Il y avait de gros orages, avec lesquels il fallait composer, c’était très fatiguant. Pendant ce temps mes petits compagnons continuaient d’avancer mieux que moi et j’ai eu la très désagréable surprise, le matin du 2 décembre, d’entendre à la vacation que j’étais passé à la 8ème place ! Ceux qui étaient restés au nord avaient eu un gros avantage. Ce moment là a été très dur pour les nerfs… Mais je ne me suis pas laissé démonter et j’ai vite repris le dessus, après une petite demie heure de dépit je me suis remis à fond dedans et je me suis dit qu’il n’y avait plus qu’une semaine de course et qu’il était important de n’avoir aucun regret. J’étais plus au sud que ceux qui venaient de me dépasser, j’allais probablement avoir un meilleur angle par rapport au vent qu’eux et surtout j’avais un moral de tueur ! L’approche de la Guadeloupe : Les derniers 800 milles ont été décisifs. Je n’ai eu de cesse de revenir sur ceux de devant, plus rien ne pouvait m’arrêter. Je suis monté au mât réparer ma drisse de capelage (je ne l’avais pas encore fait !), qui m’a été bien utile pour envoyer le code 5 par la suite. J’ai navigué comme si je partais pour une régate de 3 jours, en dormant très peu. C’était hyper tactique car il y avait un vent à 15 nœuds avec de très gros orages sous lesquels le vent pouvait monter à 40 nœuds. Le dernier jour, j’ai même relevé du 55 nœuds. Il fallait gérer sa toile et sa trajectoire, pour ne pas se faire surprendre par les grains. Il fallait aussi gérer l’électronique et je débranchais tout à chaque fois que je le pouvais pour ne pas tout perdre avec un éclair mal placé. Les 3 derniers jours, Alberto Bona, JB Lemaire et moi, nous étions au contact. Damien Audrain était en chasse juste derrière. C’était une guerre psychologique, on pouvait discuter à la VHF et c’était un peu le jeu du « ça passe ou ça casse », il fallait garder assez de toile sous les grains pour aller aussi vite que les autres, sans en envoyer trop pour ne pas tout casser. L’arrivée : Finalement, à ce petit jeu, je me suis fait avoir une fois, mais pas deux. Sans mon AIS je manquais d’infos sur mes concurrents et je ne pouvais me fier qu’à ce qu’ils me disaient ou ce que je voyais. Ainsi, la veille de l’arrivée, juste avant un grain, Alberto, que j’avais en visu, m’a fait comprendre qu’il n’allait pas trop attaquer, qu’il ne le sentait pas. Dans le grain on ne voyait pas à 10 mètres et il en a profité, contrairement à ce qu’il venait de me dire, pour renvoyer toute sa toile et s’échapper par le nord ! C’est comme ça que la 5ème place m’est passée devant ! Après 3700 milles sur l’Atlantique. Incroyable. Le lendemain matin, alors qu’un grain arrivait et que je venais d’affaler mon code 5, j’ai appris par un concurrent proto, Allan Roura, que JB Lemaire était juste devant moi ! Il ne restait plus que 7 milles à parcourir et on allait essuyer un gros grain, c’était le grain de la dernière chance, celui qui pouvait m’offrir la 6ème place ! J’ai attendu que le grain soit arrivé et que personne ne puisse me voir pour tout renvoyer! Il y avait près de 50 nœuds de vent et j’ai fait une pointe à 18.5 nœuds ! J’ai failli tout casser, mais sans ça, je n’aurais jamais été 6ème ! C’est après avoir dépassé JB que j’ai aperçu un bateau qui venait à ma rencontre, c’était ma famille… un grand moment d’émotion ! 15 minutes après je passais la ligne, je n’en reviens toujours pas. Le bilan : Le passage de la ligne d’arrivée restera l’un des plus beaux moments de ma vie. De l’avis de tous, cette Mini Transat aura été l’une des plus difficiles. Sur les 53 concurrents série au départ, seuls 33 auront franchi la ligne d’arrivée. J’ai eu de grands moments de solitude, plusieurs soucis techniques, mais j’ai quasiment toujours gardé le sourire. Je ne pensais pas être capable d’autant de persévérance, je n’ai jamais été en proie au désespoir ! J’ai le sentiment que rien ne pourrait être plus beau que cette 6ème place. J’ai passé 25 jours en mer et en solitaire, dans des conditions difficiles, et pourtant j'étais parfaitement heureux, j’en ai même beaucoup profité ! J’ai énormément pensé à tous ceux qui m’ont permis de vivre cette aventure incroyable, l’entreprise Terreal notamment, mais aussi tous mes autres sponsors, mes amis, ma famille, toutes les personnes que je ne connaissais pas avant et qui ont exprimé leur soutien d'une manière ou d'une autre. J’ai vécu un véritable rêve et je me rends compte de l’immense privilège que cela représente. MERCI !

 
 
 

Comments


bottom of page